Les chefs français qui ont régalé les rois et reines d’Angleterre

Les chefs français qui ont régalé les rois et reines d’Angleterre

C’est en feuilletant Les Recettes de la Couronne, le livre signé par le journaliste culinaire Tom Parker Bowles, que l’idée de cet article m’est venue. En voyant défiler toute une ribambelle de recettes bien franchouillardes, je me suis souvenue de cette petite phrase qu’on entend souvent, toujours avec un sourire en coin 🙄 :

 « La cuisine anglaise ? Elle n’existe que grâce aux chefs français ! »

Eh bien que nenni ! C’est un peu plus compliqué et surtout beaucoup plus riche que ça. En réalité, il y a deux cuisines en Angleterre. D’un côté, celle des palais, des banquets et des salons dorés de l’aristocratie effectivement très marquée par l’influence française. Cuisine dirigée par des chefs venus de Paris ou de Lyon, notamment au temps de George IV ou de la reine Victoria.

Et de l’autre, il y a la vraie cuisine anglaise. Rustique, généreuse, pleine de bon sens. Celle des campagnes, des cottages, des cuisines familiales. Une cuisine transmise, peaufinée et parfois même inventée par des femmes, longtemps ignorées des livres d’histoire.

Je pense ici à Eliza Acton, qui a été une pionnière de la recette claire, structurée, testée, et ce, bien avant Escoffier ! Ou encore à Mrs Beeton, la reine des manuels de cuisine victorienne. Son Book of Household Management (traduit en français par Arnaud Bachelin aux éditions de L’Épure) a éduqué des générations entières de cuisinières. Il y a aussi Florence White, qui a collecté avec passion les recettes traditionnelles pour les préserver dans Good Things in England (1932), bien avant que le mot terroir ne redevienne tendance. Et n’oublions pas Agnès Marshall, la magicienne des desserts glacés, qui a même inventé une machine à glace domestique bien avant l’heure. La liste est longue…

Eliza Acton
Eliza Acton
Agnès Marshall
La cuisine anglaise de Mrs Beeton à Delia Smith
Mrs Beeton
La Cuisine anglaise de Florence White
La Cuisine anglaise de Florence White

Mais pendant que ces femmes faisaient vivre la cuisine du quotidien, une tout autre histoire se jouait dans les coulisses des palais royaux. Car dans les châteaux et les grandes demeures, c’est la cuisine française qui faisait rêver. Finesse, rigueur, sauces au beurre, pâtés en croûte spectaculaires… la haute société britannique avait les yeux et l’estomac tournés vers la France.

De la soupe au scandale : les débuts d’une grande tradition

Au XVIIIe siècle, la cour d’Angleterre se pique de raffinement. Et pour cela, elle va chercher l’inspiration en France, évidemment.

Le premier à ouvrir le bal, c’est Vincent La Chapelle, chef franco-britannique, qui cuisine pour la reine Caroline, épouse de George II. Il introduit des plats plus légers, plus élégants, loin du traditionnel roast beef quotidien. Et publie un livre, The Modern Cook, qui devient une référence.

The kitchen at Windsor castle .James Stephanoff
The kitchen at Windsor castle - James Stephanoff

Mais le grand tournant vient avec Louis Eustache Ude, engagé par le prince régent, le futur George IV. Exigeant, raffiné, il transforme littéralement la cuisine de cour.

Anecdote savoureuse : il aurait été viré pour avoir oublié de mettre du vin dans une soupe. À ce niveau-là, chaque goutte compte !

Carême, le chef superstar

Tenez-vous bien : Marie-Antoine Carême, le plus célèbre chef du XIXe siècle, a, lui aussi, cuisiné pour George IV. Oui, le maître des pièces montées, des sauces mères et de la toque haute ! Il n’est resté que brièvement, sûrement trop de personnalités fortes dans une seule cuisine mais son passage a laissé une empreinte durable. Parmi ses spécialités ? Pâtés en croûte décorés, entremets spectaculaires, menus à thème…

L’époque victorienne : entre élégance et exubérance

Sous le règne de la reine Victoria, c’est Charles Elmé Francatelli qui prend la tête des cuisines royales. Anglo-italien, formé à la française, il écrit lui aussi un Modern Cook (décidément !) et imagine des menus d’un raffinement extrême : plats en forme de cygne, gelées sculptées, sauces nappées au millimètre… Le tout avec un sens de la mise en scène vraiment Empire britannique. Parmi ses plats célèbres :

Victoria Pudding
Diplomatic Pudding
Filets de sole à la Normande

Osborne House

Tschumi, le discret perfectionniste

Au XXe siècle, changement d’ambiance avec Gabriel Tschumi, un chef suisse formé à la française, au parcours plus discret, mais tout aussi impressionnant. Il a cuisiné pour trois rois d’Angleterre : George V, Édouard VIII et George VI.
Dans ses mémoires (Royal Chef), il raconte avec tendresse et précision la vie de cuisinier royal. On y découvre les coulisses d’un univers entre tradition, rigueur et parfois menus très simples le dimanche soir.

Deux figures majeures, pourtant jamais chefs royaux

Alexis Soyer (1810–1858)

Un personnage haut en couleur ! Français exilé à Londres, il n’a jamais été chef de la royauté, mais il a brillé au Reform Club. Surtout, il s’est engagé sur le terrain :

  • Cuisines de l’armée pendant la guerre de Crimée.
  • Inventions pour nourrir les pauvres pendant la famine irlandaise.
  • Cuisines mobiles révolutionnaires.

Anecdote savoureuse : il a servi un petit-déj à 2 h du matin à la reine Victoria et au prince Albert, nappes blanches et chandeliers inclus.

Plat célèbre : Soyer’s Field Soup.

Auguste Escoffier (1846–1935)

Le père de la cuisine moderne : organisation en brigades, simplification des recettes, règles d’or encore utilisées aujourd’hui. Même s’il n’a jamais travaillé à Buckingham, il a cuisiné pour toutes les têtes couronnées d’Europe, depuis les cuisines du Savoy puis du Carlton, à Londres. Il a aussi influencé toute une génération de chefs anglais… y compris ceux de la famille royale.

Plats célèbres

Pêches Melba
Tournedos Rossini
Filets de sole Coquelin

Et les autres ?

François Vatel (XVIIe siècle)

Bien qu’il ait servi Louis XIV, Vatel a influencé les pratiques culinaires en Europe, y compris en Angleterre où la royauté s’inspirait des fastes français.

François Massialot (fin XVIIe – début XVIIIe siècle)

Chef de cour en France, son influence a traversé la Manche, notamment via ses ouvrages de cuisine.

Joseph Menon (milieu XVIIIe siècle)

Même chose : ses recettes et ses manuels ont été largement repris et adaptés en Angleterre, notamment dans les maisons nobles.

Frederick Nutt (fin XVIIIe siècle).

Chef pâtissier reconnu en Angleterre. Il a formé plusieurs pâtissiers de maisons aristocratiques, dont certains intégrèrent les cuisines royales.

Ouvrage : The Complete Confectioner (1789).

François Vatel
François Vatel
Frederick Nutt
Frederick Nutt
Joseph Menon
Joseph Menon
François Massialot
François Massialot

Comme quoi, entre les fourneaux, les frontières sont souvent plus floues qu’on ne le pense 😉.

Our Score
Click to rate this post!
[Total: 2 Average: 5]

Laisser un commentaire

“One cannot think well, love well, sleep well, if one has not dined well.” ― Virginia Woolf, A Room of One’s Own

Liste des catégories
La Gastronomie Britannique
Gastronomie britannique

Angleterre, Pays de Galles, Écosse, Irlande

    Newsletter

    Rejoins-moi sur mapstr
    Adresses British à Paris & Londres

    Adresses Cuisine British | Paris & Londres

    Podcast Saveurs anglaises | France Culture